Une soirée en compagnie de Paul Yonnet.
Le 6 mai dernier, nous avions invité le sociologue Paul Yonnet à venir parler et débattre publiquement à l'Echangeur de son dernier livre "Le testament de Céline" (éd. de Fallois, 2009).
Jean Lassègue, philosophe et animateur du groupe de travail "Sens et société" , nous retrace quelques moments précieux de cette rencontre touchante et inspirante :
Paul Yonnet*, sociologue atypique, a travaillé sur l’individualisme moderne, les loisirs et le sport de masse. Est-ce en observant les foules des terrains de foot qu’il a aussi appris l’art du contrepied, comme il l’a si bien montré à l’Echangeur ? Fort d’une culture littéraire et historique sans faille sur la France du 19ème-20ème siècle – premier contrepied pour qui aurait des idées toutes faites sur le métier de sociologue –, il a fait revivre devant nous une époque où art littéraire et politique avaient des choses à se dire – deuxième contrepied pour qui aurait oublié que l’époque en question ne fut pas seulement celle de la « République des professeurs » selon l’expression un peu dédaigneuse de Thibaudet à propos du Cartel des gauches de 1924, mais aussi celle de la République tout court depuis la Révolution : pas n’importe quelle époque, donc, mais bien plutôt l’époque de la Grande Nation, celle du Hugo des Misérables, du Chateaubriand des Mémoires d’outre-tombe, du Péguy de Notre jeunesse et du Bernanos du Chemin de la croix des âmes. Bref, Yonnet a parlé de notre histoire nationale, c’est-à-dire de cet oxymore qu’est un héritage révolutionnaire et de ce qu’il parvint énigmatiquement à inspirer : l’amour de la patrie transmué en amour de la langue maternelle. Est-ce cette double référence aux parents idéaux qui lia le sort de la mère-patrie à la culpabilité ou l’innocence de l’un de ses fils les plus méritants, le capitaine Dreyfus, juif alsacien ayant choisi la France après la défaite de1871 ? Est-ce l’amour de la patrie transmué en amour de la langue qui faisait que Dreyfusards et Antidreyfusards continuaient malgré tout de se parler, brouillant constamment l’échiquier politique ? Mais peut-on encore parler d’amour de la patrie transmué en amour de la langue quand on a affaire au Voyage au bout de la nuit et que l’on connaît le délire antisémite dans lequel son auteur se complaira par la suite ? Yonnet a des choses à dire à Céline, qui le lui rend bien. La guerre de 14, voilà l’explication. Ou plutôt le refus catégorique de la guerre et de son moteur le plus pervers, le nationalisme. Pour Céline, tout plutôt qu’ériger un culte autour de la Nation, même si ce refus absolu passe par le combat de la Race contre la Nation. Bernanos l’avait bien vu : la seconde guerre mondiale est une guerre d’extermination parce qu’il s’agit d’un combat de la Race contre la Nation. Les imprécations de Céline érigées en style témoignent de ce combat qui semble ne plus être le nôtre. Mais en sommes-nous si sûrs ? Et ne peut-on pas lire le désir d’une Europe à construire enfin dans la paix comme appartenant déjà au passé ? Il y aurait donc encore un combat des ethnies contre les nations et en particulier contre la nôtre. Pas assez de nation pulvérise les communautés, trop de nation les tue. La nation, horizon indépassable de notre temps aurait-on dit naguère. Les lendemains ne sont pas prêts de chanter. Et pourtant la littérature continue de porter un espoir, celui d’indiquer à sa façon un lieu à tout jamais inaccessible à l’Etat où la communauté tisse des liens encore plus puissants que ceux de la politique, des liens qui unissent sans instituer, au plus intime de la vie des sujets.
Paul Yonnet, sociologue et écrivain, est membre du groupe de travail Société du Forum d'Action Modernités.
Il est l'auteur de «Travail, loisir: Temps libre et lien social» (Gallimard 1999), «La montagne et la mort» (Editions de Fallois 2003), «Le recul de la mort L'avènement de l'individu contemporain», Famille Tome 1 (Gallimard 2006), «Le Testament de Céline» (Editions de Fallois 2009).