Mon engagement, pourquoi et comment ? / Restitution intervention de Nathan Stern

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Intervention de Nathan Stern

 

Nathan Stern est sociologue de formation. Depuis maintenant dix ans, il essaie de tisser des liens, entre les publics, les générations, les milieux, les quartiers…

Je voudrais partager avec vous une conviction que j’ai, qui est forte, sur l’engagement et pour faire comprendre mon point de vue, je vais commencer par quelques mots de moi et de mon expérience. Je me définis comme un ingénieur social. Mon métier consiste à susciter de nouvelles solidarités, à donner envie aux gens de se rapprocher les uns des autres, dans différents contextes sociaux : l’entreprise, la famille, l’école, etc. Pour illustrer, voici trois de mes réalisations, la première a dix ans, la deuxième cinq ans, la troisième est toute récente :

Pour commencer, Peuplade, un réseau social local lancé en 2003, qui a permis à tout un tas de gens de se connaître entre voisins, dans le cadre de pots de quartier, de pétanques parfois un peu arrosées, de repas chez des particuliers. Peuplade a donné lieu à projets d’intérêt général, une maison de quartier autofinancée par exemple, des fêtes qui durent une partie de la nuit, beaucoup de pots de quartiers et sur cette base-là des histoires d’amour, des bébés, des amitiés improbables mais souvent durables…

Voisin-Âge : la deuxième initiative que j’ai conçue il y a cinq ans pour les petits frères des Pauvres, consiste à mettre en relation des personnes âgées isolées avec leurs voisins. Tout l’intérêt du projet repose sur les nouvelles manières de tisser du lien puisqu’on y voit des couples qui « voisinent » ensemble des personnes âgées, des femmes avec leur fille, des femmes âgées qui s’occupent de leur mère encore plus âgée, à distance, etc. A chaque fois, l’enjeu est de retisser le lien autour des personnes âgées isolées du quartier et de susciter de nouvelles formes d’engagement qui brouillent un peu les lignes entre vie privée, vie bénévole, etc.

Enfin, tout récemment, j’ai lancé « J’aime Belleville ». L’idée est de mettre en place une ligne collaborative téléphonique, animée par des habitants de Belleville, le symbole du melting-pot à Paris. Une ligne téléphonique par des bellevillois, pour des bellevillois. Qu’on soit malvoyant, en fauteuil roulant, âgé et loin d’internet ou qu’on soit jeune, cultivé, riche et bien-portant, l’idée est qu’on puisse, sur un simple coup de fil, communiquer avec quelqu’un qui est peut-être à trente mètres de soi et qu’irrésistiblement on se dise qu’on va tisser le lien. Ca démarre tout juste, pour l’instant nous avons reçu un appel. Mais je vais tenir bon et, comme toujours, en écoutant les uns et les autres, j’espère réussir à faire que ça marche.

Alors en quoi consiste mon métier ? Je vais à la rencontre d’un public donné et peu à peu, j’essaie de déterminer les conditions de leur engagement. C’est beaucoup de discussions, de propositions, des allers-retours entre des maquettes et les personnes concernées. Par exemple, les hommes sont peu nombreux sur Voisin-Âge. Je suis donc allé à leur rencontre et leur ai demandé pourquoi ils ne s’inscrivaient pas. J’ai alors découvert que pour que les hommes s’engagent, il fallait qu’il y ait un but à atteindre, qu’on puisse témoigner d’une réussite, qu’il y ait des femmes, qu’on puisse assumer rapidement des responsabilités, etc. Petit à petit, je vais déterminer les conditions de l’engagement, puis je vais aller voir le public en face et poser les mêmes questions. Une fois que j’ai des réponses crédibles, je vais designer une plateforme, un poster, un jeu, etc.

Ce que j’ai appris au fil des années, c’est que l’engagement est universel. Il y a un potentiel d’engagement en chacun. Là où ça coince, c’est du côté de l’offre d’engagement, qui est assez stéréotypée. Elle prend souvent la forme d’un bénévolat dans une association, avec un engagement physique, récurrent, en général durable. Si le monde de l’engagement s’assouplissait sur le plan de ses formats, je ne doute pas que tout le monde s’engagerait.

On pourrait proposer des formes d’engagement qui répondent aux attentes variées de chacun :

  • Des engagements à durée déterminée (cinq minutes, une heure, un dimanche, une semaine) ;
  • Des engagements à fréquence variable (quand ça nous arrange, le soir, la nuit) ;
  • Des engagements qu’on socialise (avec notre moitié, nos enfants, nos voisins, d’autres célibataires). Il n’y a aucune raison d’envisager le bénévolat comme une pratique prioritairement individuelle, où l’on va isoler une personne de son environnement.
  • On peut aussi tirer partie de cette pléthore d’outils disponibles aujourd’hui, comme les smart phones, pour documenter des nids de poule, des cas de corruption, etc.

En bref, permettre aux personnes d’exprimer leur envie de s’engager autrement qu’à travers du temps ou de l’argent donné.

La plus grave atteinte à l’engagement - qui n’est pas facile à appréhender – réside non pas dans la forme de l’engagement mais dans sa définition même : on demande aux personnes qui veulent s’engager d’être désintéressées. Bien sûr, certains bénévoles ou structures désintéressés font un travail formidable. Mais ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas payées qu’elles font un travail formidable, c’est parce qu’elles ont un impact positif sur le bien-être ou le développement des personnes. Ce n’est pas parce qu’on est payé qu’on ne pense qu’à soi, ce n’est pas non plus parce qu’on n’est pas payé qu’on pense nécessairement aux autres. Ce qui est en cause, c’est l’association entre la non-lucrativité et la valeur sociale. Je pense qu’il est important qu’on mette un terme à cette défiance du monde non-profit à l’égard du monde for-profit. Des artistes, des boulangers, des artisans, des médecins, des professeurs, parfois des banquiers, font leur travail avec passion et en vivent parfois très bien. Pour autant peut-on dire qu’ils soient tournés vers eux-mêmes ? Cela changerait tout si l’on arrêtait de se focaliser sur les intentions supposées des acteurs (ou sur le statut juridique de la structure dans laquelle ils œuvrent) et qu’on s’intéressait à l’impact pour le bénéficiaire. Et si c’était en contribuant le plus à la communauté qu’on gagnait le plus ? Ce serait formidable si l’on pouvait concilier son intérêt propre et l’intérêt d’autrui dans le cadre de son engagement.

 

Question : Tu te définis comme un ingénieur social. Quelle est ta formation, est-ce que tu te destinais à cette activité ou bien y a-t-il eu une bifurcation à un moment de ton parcours ?
Nathan Stern : La bifurcation a eu lieu en 1995, lorsque j’ai découvert internet. J’ai fait des études de sociologie et j’avais déjà cette sensibilité au lien et à la violence sociale. Quand internet est arrivé, j’y ai vu un territoire vierge où l’on pouvait, avec des bouts de ficelle, tisser des nouveaux liens, proposer d’autres contrats, favoriser une présentation de soi émancipée de tout ce qui entrave le lien. On peut masquer la couleur de peau, le niveau social, le sexe. Au début de Peuplade, on ne demandait pas aux gens s’ils étaient des hommes ou des femmes, ce qui donnait des conversations avec des humains sans qu’ils aient une notion du sexe de leur interlocuteur. C’est intéressant de découvrir que l’altérité n’est pas toujours spécifiée par un genre. C’est la magie d’internet qui m’a permis de passer de l’étude et du commentaire à l’action et à l’engagement de terrain.

Question : Tu accordes une importance particulière aux différences entre les générations et tu t’efforces de mettre en relation plusieurs générations. Pourquoi ? Qu’est-ce que ça t’apporte ?
Nathan Stern : A mon sens, les barrières générationnelles sont incroyablement arbitraires. On peut vraiment avoir des amis de tous âges. L’intergénérationnel nous inscrit dans notre propre histoire et notre condition de mortel. Etre trentenaire et ne fréquenter que des trentenaires, c’est être dans le déni qu’on vieillit et qu’on n’aura pas toujours trente ans.

Question : Pour reparler de tes convictions, tu tiens toi-même à associer la dimension sociale à celle d’entrepreneur pour te présenter. Tu l’assumes vraiment le profit ?
Nathan SternJe reconnais qu’il n’y a pas que le profit qui m’intéresse. Je ne gagnerai jamais un centime avec l’initiative « J’aime Belleville » mais ça m’intéresse, c’est une formation, etc. J’ai neutralisé la question de mon propre intérêt dès lors que j’ai suffisamment pour vivre.

Question : Crois-tu que, comme le dit Jeremy Rifkin, on soit dans un changement d’époque, qu’on entre dans l’ère de l’empathie ?
Nathan Stern
Un changement décisif. Par exemple, l’envie des jeunes diplômés d’école de commerce de donner du sens à leur travail témoigne d’un changement dans la définition de ce qu’est la réussite : l’autonomie, la liberté, ne pas avoir d’horaire de bureau, jouir du droit à disposer de soi-même du lundi au dimanche…

Question : Pour dédramatiser " l'engagement" il faudrait plus de fluidité entre l’offre et la demande?  Sans nécessaire implication dans une cause?
Nathan SternLes causes ne sont pas en question. L’important est d’avoir une idée toujours plus précise de l’impact social de nos actions. Une action a un impact social, il faut le mesurer, et se battre pour l’améliorer, qu’on soit Adidas ou Coca-Cola. Je serais heureux que l’engagement soit ambiant, universel, pervasif et qu’il ne soit plus question de mener des actions dont le sens n’est pas connu.

Question : Quelle est votre plus belle réussite ?
Nathan Stern : J’ai ressenti une grande émotion quand, après avoir animé des pots de quartier pendant des semaines, j’ai réussi à convaincre un voisin qu’il anime lui-même une soirée. J’ai vu par la suite des photos de cette fête qui a été une grande réussite, qui s’est terminé à 3h du matin. J’ai été très heureux de n’avoir rien à faire et que quelque chose se passe tout de même.

Question : Qui sont vos "clients" ?
Nathan Stern :
Je travaille pour des acteurs sensibles au bien commun, des collectivités locales, des mutuelles, des entreprises qui ont une fondation significative.

Autres questions envoyées sur ce thème :
- Et vous comment gagnez vous votre vie ?
- Faire de l'engagement dans des social business. N'est ce pas une manière de s'engager et survivre soi-même ?

Question : Comment peut-on vous aider ?
Nathan Stern : Pour moi, la confusion entre engagement et désintéressement n’est pas anodine. C’est terrible de ne pas célébrer économiquement l’engagement social. C’est toujours dans les marges du système qu’on va s’occuper de la malaria, de l’égalité des droits, etc. Il faut changer de discours pour changer de paradigme. Contribuer, c’est désenclaver la solidarité pour en faire quelque chose où de très belles réussites économiques peuvent se produire. S’il y avait dix fois plus d’argent, il y aurait dix fois plus de résultats. Il faut émanciper l’humanitaire et le social de leurs arrière-plan social et religieux.

Autres questions et commentaires envoyés pendant l'intervention de Nathan Stern :
- Comment faites-vous de la publicité sur vos projets pour qu'ils soient connus ?
- @ Nathan. C'est un mini facebook

- Pour votre ligne téléphonique avez-vous pensé à développer un service par texto pour les sourds ?
- Engagement universel, mais les combats sont parfois bien différents...
- A quelle tranche d'âge Peuplade s'adresse-t-il ?
- J'habite Belleville. Pas entendu parlé. Faites-vous connaître !
- Bonne question intéressement/désintéressement.
- Le profit ne tue pas l'engagement, la preuve Earthtalent ?
- Il y a une marge entre bénévolat et lucrativité débridée !
- Bravo pour une telle intelligence de discours !
- Sur Peuplade : Comment est-ce que les personnes âgées s'inscrivent ? C'est un peu dur par internet, non ?
- La plaie du bénévolat : se racheter une réussite sociale ou professionnelle ?
- Ne peut-on pas s'engager aussi simplement qu'en vivant ?
- Pourquoi « J’aime Belleville » ne marche-t-il pas ?
- Quid de la viabilité des modèles économiques  pour pérenniser  l'action sociale ?
- Suggestion : créer une ligne « impact social » sur les feuilles d’impôts ?
- Ne sommes-nous pas menacés par une posture un peu "bisounours" qui laisse le champ libre aux "prédateurs" ?
- Chacun de nos actes n'est-il pas un engagement à part entière, et ne mérite-t-il pas la même réflexion ?
- Continuez !

Voir la restitution du dialogue avec la salle
Voir l'intervention de Charlotte Trousseau

Voir l'intervention d'Amanda Bouin